Pour améliorer son anglais ou son néerlandais, on connaît surtout les stages linguistiques, épreuve honnie des enfants. Mais il existe d’autres manières plus ludiques de réviser les langues. Prenez le festival Export/Import ! Pendant six jours, un théâtre flamand (le Bronks) et un théâtre francophone (la Montagne magique) jouent avec la langue de l’autre (sous-titrée), accueillent des spectacles anglais ou hollandais, réconcilient tout le monde avec des pièces sans paroles et, surtout, proposent des langages artistiques encore jamais parlés ailleurs.
C’est aussi l’occasion de rattraper des bijoux comme Ballon Bandit, voyage cosmique pour les plus petits, propulsé par l’univers de David Bowie, quelques ballons d’hélium et beaucoup de magie. Ou, pour les plus grands, Parc, une comédie grinçante entre parodie de Sauvez Willy et thriller à la Stephen King. Côté flamand, il faudra découvrir, entre autres, La chambre intérieure de Binta, une expérience sensorielle qui vous convie dans les pensées secrètes d’une enfant placée dans un foyer. Comment se créer un nid quand on doit le partager avec d’autres enfants ? Pourquoi certains parents ne s’occupent-ils plus de leurs enfants ? Comment apprendre à vivre avec le manque ? Grand succès en Flandre, ce spectacle sera joué en français pour la première fois.
1 /La langue des corps
Parmi les spectacles sans paroles, Gadoue vous emmène sur une piste de boue blanche où interroger notre sort de bipède voué à tomber pour apprendre à tenir debout. Un jongleur en complet veston joue avec une balle, des blocs d’argile et nos contradictions, ses tentatives pour ne pas glisser dérapant dans de la patouille régressive, voire primale. Réservez aussi une place pour Promise Me de Kabinet K, un spectacle de danse qui met en scène de jeunes danseurs insoumis. Ou encore Ik … eh ik, une sorte de tableau surréaliste mouvant où le décor tient le premier rôle dans une maison où ordinateur, frigo, plantes d’intérieur et linge sale jouent les acrobates. Citons aussi Semilla de la Cie Tea Tree, où l’attente face à une graine qui pousse fait ger- mer de la danse, des rires et bien des idées.
2 / La langue des signes
Parce que certains parlent mieux avec des gestes, le festival propose Sparks de Fancesca Grilli, un projet participatif dans lequel les enfants, munis d’une lampe torche, lisent l’avenir des adultes dans la paume de leur main. « Les enfants n’appartiennent pas à ce monde, ils viennent de l’avenir », annonce ce spectacle poétique conçu lors d’un atelier avec de jeunes participants. Parfois, ce sont les objets qui viennent épauler les mots pour faire signe(s) au public. Dans I killed the monster, Glidwen Peronna use d’une table et de quelques artefacts pour réinventer le cinéma de série B, doublé d’un conte inquiétant au cœur des Ardennes : dans un petit village, Daniel vient de recevoir un médicament expé- rimental. Ce qui ne peut que lui faire du bien, non ? Mais comment expliquer ces meurtres en série ?
3 / La langue (pas) de bois
Ce n’est pas parce qu’un festival s’adresse aux enfants que la politique en est absente. La preuve avec le collectif du Bronks qui présente The Happy few, pièce cynique sur notre monde baigné de fake news où tout le monde, sur les réseaux sociaux, s’érige en scientifique, journaliste, capitaliste, idéaliste, humoriste, martyr entre autres crieurs publics déterminés à nous enfoncer leur vérité dans le crâne. Dans Tribunal, le Bronks toujours, aidé de Ballet Dommage, nous emmène dans l’univers aussi fascinant qu’inquiétant de la justice. Citons encore La Fonte de la
Cie Iceberg, huis clos délirant dans un congélateur. Un brocoli sicilien bio, un fishtick de poisson recomposé et une crème glacée de luxe tissent une satire glaciale de notre monde pourri par les dérives de la surconsommation.
Un article de Catherine Makereel, Le Soir, le 3 novembre 2021