Un article de Catherine Makereel, Le Soir
https://www.lesoir.be/408866/article/2021-11-26/petit-garcon-en-robe-norman-questionne-la-norme
Déjà sollicité en Irlande, au Québec ou chez nos voisins flamands, « Norman » fait figure de pépite jeune public. Trajectoire d’un petit garçon qui vit un enfer depuis qu’il va à l’école en robe, la pièce se poursuit par des rencontres avec les enfants, autour du « il », du « elle » et du « iel ».
Quand il est né, tout rose et tout joufflu, Norman avait tout du bébé « normal ». Mais, petit à petit, le petit garçon est devenu « glossy ». De son sac à dos en sequins à ses chaussettes d’un rose pétant, c’est comme s’il s’était mis à trop briller. Et voilà qu’à sept ans, il se pique de mettre une robe pour aller en classe. Parce que sentir le tissu prendre le vent et voir tournicoter les volants, c’est trop chouette ! Hélas, sur le chemin de l’école, ce ne sont pas seulement ses petites jambes qui vont prendre le frais. Des bouffées de médisances soufflent tout au long de son trajet : « C’est quoi, ça ? Une jupe, un tutu, un kilt, une djellaba ? Manquerait plus qu’il se mette à se maquiller ! »
Au début, les moqueries glissent sur cet enfant tout à sa joie de virevolter dans les plis de son insouciante liberté. Mais, au fil des jours, les dénigrements, ânonnés machinalement, vont avoir raison de ses petits bonheurs modestes et de son joyeux détachement. D’autant qu’à l’école, plus personne ne veut jouer, de peur de se faire traiter de « tafiole. » A la maison aussi, c’est loin d’être aussi rose et léger qu’une barrette à cheveux. Sa mère ne le comprend pas. Elle préférerait encore qu’il soit myope ou dyslexique plutôt que « ça ». De son côté, sa tante trouve ça « limite, limite » alors qu’elle-même souffre depuis toujours du regard des autres, lié dans son cas à la grossophobie. Le salut viendra finalement d’un père bouleversé qui, n’étant pas doué avec les mots, recourra à un geste héroïque pour venir à la rescousse de son fils.
Ecrit par Marie Henry, Norman (c’est comme Normal, à une lettre près) aborde un thème sensible sans jamais tomber dans la mièvrerie. Au contraire, la mise en scène de Clément Thirion en fait une fable pop, qui ne gomme pas pour autant les aspérités cruelles de l’histoire. On y accomplit des chorégraphies déjantées, notamment lors de burlesques répétitions pour la fancy-fair. On y joue de stroboscopes ou de jeux d’ombre spectaculaires pour convoquer les cauchemars de Norman. Les comédiens (Antoine Cogniaux, Deborah Marchal et Lylybeth Merle) jonglent avec les accessoires pour changer de personnages, jouant indistinctement des hommes ou des femmes. De la musique aux costumes, tout concourt à faire de cette pièce une parabole baroque et ludique sur la différence, le rapport à la norme, l’acceptation de soi et des autres, les codes culturels liés aux genres.
Ce petit garçon qui refuse de faire semblant, qui n’arrive plus à exister et se faire aimer tel qu’il est, qui ne rêve que de voir ses multiples « être au monde » s’assembler en un puzzle qui lui ressemble mais se retrouve enfermé dans une boîte dont il n’a choisi ni la forme ni la couleur, ce petit garçon existe en vrai, il n’est pas rare de le croiser dans une cour de récré.
C’est pour aller à la rencontre de ces êtres en recherche, et de leurs camarades, que le spectacle s’accompagne d’une rencontre en bord de scène. A la Montagne Magique cette semaine, ils étaient une quarantaine à dialoguer avec les comédiens après le spectacle. « Harceleurs, jugements, cauchemars, gêne, regard de la société » : entre 8 et 12 ans, les enfants n’ont aucun mal à mettre des mots sur les thématiques de la pièce. « Pourquoi une fille en short, ça ne dérange personne alors qu’un garçon en robe, ça choque ? », s’étonne l’une. « On peut être un garçon et aimer les robes sans que ça change la sexualité », remarque un autre. Avant chaque intervention, les enfants annoncent leur prénom et le pronom qui leur convient. Si une majorité de « il » et de « elle » s’expriment, on entendra aussi un « iel » prendre la parole. L’équipe de la Montagne Magique nous confirme d’ailleurs que les écoles s’avouent confrontées à ce sujet dans le quotidien et donc très demandeuses de l’aborder grâce au théâtre.
Dans la troupe, Lylybeth Merle, qui joue Norman sur scène, est bien placée pour dialoguer avec les enfants puisque son enfance ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de son personnage. « Je jouais souvent avec les vêtements de ma mère, se souvient-elle. Pendant tout un temps, ça fait rire l’entourage et puis, un jour, tu sens que ce n’est plus ok, qu’on ne peut plus du tout rire avec ça. J’ai passé les auditions pour Norman parce que l’histoire me touchait. J’aurais aimé voir ce spectacle quand j’étais enfant, avoir ces discussions. J’aurais gagné du temps dans ma vie », commente celle qui se définit aujourd’hui comme transféminine (assignée garçon à la naissance mais s’identifiant davantage à la féminité qu’à la masculinité) et non binaire. « Moi, j’ai grandi sans modèle alors c’est important que je me visibilise. Au début de la rencontre, je me présente en disant : « Mon prénom est Lylybeth et mon pronom, c’est elle ». Le plus souvent, les enfants disent « ah d’accord » et passent à autre chose. Certains sont surpris que j’aie une barbe et me posent des questions mais toujours avec respect. »
Performeuse et metteuse en scène – son spectacle Hippocampe sera en février aux Tanneurs – Lylybeth Merle travaille au décloisonnement des genres, collaborant parfois avec des associations comme TransKids, à destination d’enfants transgenres, non binaires ou en questionnement. La société a-t-elle favorablement évolué sur ces questions ? « Je crois qu’on a ouvert un dossier. Les enfants le comprennent et intègrent facilement des concepts qui sont plus difficiles à accepter pour des adultes de 50 ans. Aujourd’hui, il y a beaucoup de stars trans, non binaires. Il commence à y avoir des modèles. »
Ce 27/11 à la Montagne Magique, Bruxelles.