Coup d’oeil sur la saison

La Libre Belgique

Un article de Laurence Bertels

Avec environ 85 spectacles au menu, La montagne magique annonce une saison aussi foisonnante que la couverture de son programme, une ode à la vie, à la diversité et aux méandres de l’esprit, qui annonce la couleur et n’est pas sans rappeler les univers de Kitty Crowther et de Frida Kahlo. Un visuel de bel augure, comme une réponse bien vivante au mortel silence de l’an dernier.

En feuilletant le programme, il apparaît d’emblée, parmi les nombreux événements annoncés, que le premier d’entre eux, le festival international Export/Import, occupe une place de choix et prend, avec une vingtaine de propositions, de l’ampleur au regard des éditions précédentes.

Organisé main dans la main avec le Bronks, théâtre jeune public néerlandophone, à Bruxelles, l’événement, qui aura lieu du 9 au 14 novembre, inverse les habitudes et les publics. La montagne magique accueillera les spectacles du Bronks, et le Bronks, ceux de La montagne. Les deux théâtres jouent, disent-ils, aux entremetteurs pour les arts vivants et les publics. Le Kaaitheater et le Marni s’associent à la fête.

« Le Bronks et La montagne ont de plus en plus envie de travailler ensemble. Dans une ville comme Bruxelles, qui regroupe 180 nationalités, les deux langues principales restent le français et le néerlandais. Or, on ne se connaît pas, tout nous divise. On n’a plus la même culture, les mêmes médias, le même enseignement. Chacun a besoin d’affirmer son identité. Mais il y a quelque chose qui nous rassemble malgré tout. Nous avons envie de créer du lien, de nous intéresser à l’interprétation du monde des uns et des autres et de voir à quel point une langue et diverses influences peuvent mener à des visions différentes. Plutôt que de voir l’autre comme un danger, nous le voyons comme une richesse. Nous voulons créer des espaces de rencontres entre les artistes flamands et francophones, entre les différents publics, entre les enseignants, les parents, les enfants et les adolescents », nous dit Cali Kroonen, directrice de La montagne magique, avant d’ajouter que la dernière édition, avant la pandémie, avait drainé pas moins de nonante programmateurs venus des quatre coins de la planète, des scènes nationales comme du secteur de l’éducation culturelle.

Tabous de l’adolescence

Les compagnies flamandes et francophones joueront dans la langue du voisin. De Belgique, de France, des Pays-Bas ou encore d’Angleterre, les artistes développeront des formes artistiques inventives et variées, avec, s’il le faut, les sous-titres adéquats. Du mouvement à la danse en passant par le théâtre visuel, le texte, la petite ou grande forme, chacun y trouvera de quoi se rassasier, quels que soient l’âge ou l’appétit. Une soirée et une journée seront également consacrées au théâtre de l’adolescence et à ses tabous. Que peut-on dire, montrer, raconter au jour d’aujourd’hui et comment faire en sorte que la rencontre ait lieu ?

« On se pose les mêmes questions mais pas de la même façon. Pour les jeunes, la relation entre deux corps, le simple fait de se toucher, peut être vécu comme une intrusion mais ils parlent sans pudeur des sites pornographiques. Un metteur en scène, qui a un théâtre à Düsseldorf, viendra témoigner de son expérience vis-a-vis de l’adolescence. Le soir, on programmera Mike, tout en présence et sobriété, contrairement au provocateur The Happy Few ».

Côté spectacles, notons donc The Happy Few, des fausses nouvelles aux nouvelles fausses, par le Bronks, ou Norman c’est comme Normal, à une lettre près par la Kosmocompany, l’histoire d’un petit garçon qui se rend en robe à l’école et dont tout le monde se moque le long du trajet. Un jour, son père décide de porter une robe, également, une de celles qui tournicotent, virevoltent, donnent envie de s’envoler… Un spectacle, entre autres, avec Antoine Cogniaux, qui questionne la normalité et les codes culturels d’appartenance au genre.

« Import-Export donne l’occasion à notre public de découvrir des formes inhabituelles, entre autres dans le rapport au corps ou au mouvement, qu’ils ne verront pas à d’autres moments. Les Flamands, eux, découvrent par exemple à peine le théâtre d’objet alors qu’il existe chez nous depuis plus de trente ans grâce à Agnès Limbos. »

La force des mots

Autre temps fort de la saison, le festival Paroles au solstice, du 17 novembre au 22 décembre, qui comme son nom l’annonce privilégie le verbe. Une vingt-deuxième édition avec douze propositions. Dont, comme tout au long de la saison (voir notre sélection ci-dessous), quelques pépites des Rencontres théâtre jeune public à Huy, qu’il s’agisse du Grand Voyage de Georges Poisson ou de La Soupe aux cailloux.

« Qu’a-t-on envie de raconter aux enfants ? demande encore notre interlocutrice. Plusieurs personnes disent préférer la réalité à la fiction, mais la réalité est une fiction et percevoir le monde qui nous entoure relève déjà de l’interprétation. Il est essentiel d’avoir un lieu où raconter une histoire, où déclarer ‘ceci est une fiction’. Quelle représentation du monde veut-on partager ? Les hommes ont inventé les histoires pour mettre de l’ordre dans le chaos. Pour rendre intelligible ce qui n’a pas de sens. Les théâtres, fermés pendant la pandémie, ont été considérés comme non essentiels. Mais, s’il n’est pas essentiel qu’il y ait un lieu pour chercher ensemble du sens quand on est dans des états de crise comme celui qu’on traverse actuellement, alors, rien n’est essentiel. »


Mike et le jugement

Une voix off surgit des coulisses : « Colin, il a l’air cool, gentil, zen, sympa… » Le Colin (Jolet) en question apparaît debout, en survêtement, derrière un micro au pied duquel fleurit un bouquet de chrysanthèmes. Puis c’est au tableau que se succèdent quelques phrases : « J’ai un trac fou. C’est pas un petit trac. Quand je dois parler en public, je transpire… » Rappeur, street dancer ou amateur de sirtaki, Mike enlace aussi son punching ball, véritable alter ego. Un spectacle de Sophie Leso (Théâtre de l’Evni) autour de l’identité, du jugement et du besoin de reconnaissance, inhérent à l’adolescence et aux longues années suivantes… (Le 10/11/2021 dans le cadre d’Import/Export).

Le voyage de G. Poisson

Il suffit que Martine Godard et Sabine Thunus, alias Lucienne et Marinette, déposent sur le sable leur sac du Crabe du phare abandonné pour que resurgissent la Bretagne et ses embruns, que le vent fouette nos esprits et qu’hier s’invite aujourd’hui. C’est toute la magie du théâtre d’objets, qui, avec trois maquettes ringardes de goélettes, un rire de mouette et deux vaches en plastique, nous emmène au loin. De la Corse à Manosque en passant par Marseille et Forcalquier, un récit gigogne de la Cie Arts et Couleurs raconté avec trois bouts de ficelle et quelques jouets d’antan, comme on aimerait en entendre le soir avant de partir au pays des songes. (Du 17 au 20/11/2021, Paroles au solstice).

Ce petit air de Chelm…

Conte philosophique désarmant d’absurdité du Micmac théâtre, Un petit air de Chelm nous emmène dans un village tombé du ciel, entre Pinsk et Minsk, où rien ne se passe comme ailleurs. On y suit avec délice l’aventure d’un couple complice qui, à l’écoute des sages, a fait rentrer une vache dans sa maison… Des troncs d’arbres descendus à dos d’homme dans la vallée aux jeux télévisés façon Questions pour un champion, tout est en finesse, interprété par une Nathalie de Pierpont toujours aussi pétillante et le so british Stéphane Groyne. Du sourire au rire franc, on savoure cette tranche de vie montagnarde où la sagesse se mesure à la longueur de la barbe. (Le 22/1/2022 en tout public).

Llum comme lumière

Portée par les mots, la voix, la poésie de Laurence Vielle, éclairée par son compagnon de vie et de scène, Frédéric Vannes, la chorégraphe et danseuse Caroline Cornélis, traverse l’ombre pour célébrer la lumière en toutes langues. En noir et blanc, en élégance, en souplesse et dignité, elle s’inscrit dans le faisceau lumineux pour conter la rencontre du soleil et de la nuit, la naissance du désir… La danseuse explore ces fragments sans lesquels la vie ne serait pas, partage sa douceur avec celle de la poétesse, et des petits, dès 4 ou 5 ans, à l’oreille desquels la compagnie Nyash chuchote une histoire dansée, rappelant combien cet art fait sens à l’heure de l’enfance. (Du 12 au 16/3/2022)

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